l’incontournable Stratégie Environnementale

Par Florence Jean-Bedoch
Echiquier, jouer une stratégie


Pour un monde dans lequel l’Entreprise joue pleinement son rôle d’intégrateur social en respectant son environnement, la nature.

La nécessité faite aux entreprises de se comporter de manière environnementalement responsable étant désormais largement établie et démontrée par une multitude de travaux scientifiques, relayée par les médias puis par la population, la puissance publique se l’est progressivement appropriée et légifère en ce sens. Sous la pression de ses parties prenantes, l’entreprise se doit d’afficher un comportement exemplaire en la matière. ( La nécessité de communiquer « vert » tournant parfois au greenwashing…)

Je ne vais pas débattre de la pertinence d’éventuelles mesures cosmétiques. De même, je ne vise pas les entreprises pour lesquelles la politique environnementale se résume à de la conformité réglementaire. C’est un effort, certes louable, les réglementations étant particulièrement complexes dans certains domaines (chimie…), mais la dynamique est insufflée par la puissance publique qui a le pouvoir de fermer le site. Je m’intéresse clairement à l’étape suivante. Celle où des personnes sont en charge, au sein de l’entreprise, de mettre en œuvre une démarche environnementale réelle et proactive.

Schématiquement, les difficultés rencontrées le plus souvent sont de quatre ordres :

1) obtenir le soutien de la direction

2) définir une stratégie cohérente

3) mobiliser les personnels

4) évaluer et piloter la stratégie environnementale.

Dans cet article je vous propose d’envisager une méthodologie pour implémenter une stratégie environnementale dans votre entreprise.

Dans un premier temps, je montrerai ses intérêts stratégiques comme moyen pour impliquer la direction.

Dans un second temps, comment dépasser les attentes contradictoires des parties prenantes afin de définir une stratégie environnementale.

Dans un troisième temps, comment mobiliser les personnels sur sa mise en œuvre effective et pérenne.

En conclusion, j’évoquerai des pistes permettant d’évaluer et piloter cette stratégie.

1 – Impliquer la direction

De multiples études de terrain montrent que l’implication de la direction constitue un préalable incontournable à l’implémentation d’une stratégie environnementale. Celle-ci doit donc pouvoir percevoir clairement l’intérêt de l’adopter. Depuis le début des années 90, de nombreux travaux mettent en évidence les potentialités de gains qui peuvent en résulter. Schématiquement, les stratégies environnementales permettent d’améliorer le résultat économique soit en réduisant les coûts de la firme, soit en augmentant ses revenus (gain de 13% de performance en moyenne)

1.1 – Réduire ses coûts via une stratégie environnementale

Avec le recul et l’expérience que nous avons acquise au fil des missions, il nous est possible d’identifier quatre principaux facteurs de réduction des coûts résultant d’une stratégie environnementale.

1°) Gestion des risques (image, réputation, dommage matériel, litige judiciaire, etc.) et anticipation des évolutions réglementaires (contrainte légale) ou normatives (cahiers des charges des clients, etc.). Les pertes financières associées à ces formes de risques ou les frais de mise aux normes sont suffisamment importantes pour que les entreprises aient intérêt à les prévenir efficacement.

2°) Optimiser les coûts d’énergie, de matériels et de services, donc limiter pollutions et gaspillages

3°) Faciliter l’accès aux financements en attirant les investisseurs soucieux des enjeux environnementaux (fonds mutuels ‘verts’, ‘responsables’ ou ‘éthiques’ ; banques signataires des « Equator Principles » ; actionnariat intégrant avec une pondération croissante les informations liées à une réduction des risques environnementaux)
4°) Attirer, mobiliser et fidéliser des personnels de plus en plus sensibles à l’image environnementale de leur entreprise

1.2 – Augmenter ses revenus via une stratégie environnementale

Comme il est possible de réduire ses coûts, une stratégie environnementale permet aussi de générer des revenus renforçant ainsi l’intérêt de ce choix stratégique aux yeux de la direction. Trois axes principaux se dégagent :

1°) L’accès à des marchés ayant des exigences environnementales : intégration de volets environnementaux dans les appels d’offre (notamment publics), exigence environnementale d’un nombre croissant de donneurs d’ordre qui se trouvent responsables de leur chaîne de sous-traitant aux yeux de parties prenantes de mieux en mieux informées, etc.

2°) La possibilité de différencier ses produits : répondre aux attentes d’une part croissante de consommateurs sensibles à la dimension environnementale, voire de payer plus cher pour cela (tissus recyclés, moteurs hybrides…), répondre aux attentes de partenaires publics ou privés ayant des contraintes environnementales, répondre à des exigences de qualité (alimentation ‘bio’, etc.).

3°) Elaborer et vendre des technologies innovantes de maîtrise de la pollution. Ces innovations, qui relèvent de l’écologie industrielle peuvent générer différents retours sur investissement :

  • économie d’énergie, gains de productivité, réduction du coût des déchets, etc.
  • être vendues à d’autres firmes ;
  • avantage lié à être le premier joueur (first mover advantage) et créer des barrières à l’entrée ;
  • générer des réglementations plus strictes (donc éliminer des concurrents)

 2 – Définir la stratégie environnementale

En évoquant les multiples formes de retour sur investissement d’une stratégie environnementale, l’objectif était d’impliquer la direction. Cette première phase est indispensable, mais non suffisante. Il s’agit ensuite de définir une stratégie environnementale en fonction des spécificités de l’entreprise qui souhaite l’implémenter (type de problématiques environnementales, parties prenantes concernées…).

2.1 – Pertinence et logique de l’ISO 26 000

Elaborer une stratégie environnementale implique, pour l’entreprise industrielle, de s’inscrire dans une logique de responsabilité envers ses PP. Dans la perspective du Stakeholder Model  de nombreux travaux soulignent la nécessité de prendre en compte leurs différentes attentes. Mais ils sont peu opérationnels. Ce sont des construits utopiques qui tendent à ignorer l’existence d’antagonismes entre les PP. Ils présument possible la définition d’une préférence collective, via des contrats ‘justes’ reposant sur la possibilité de faire converger les attentes des différentes PP. Or, au quotidien, les dirigeants sont confrontés à une multitude de demandes contradictoires.

Nous considérons que la méthodologie du SD 21 000 et de l’ISO 26 000 offrent une piste intéressante pour dépasser ce problème. Nous nous proposons d’en reprendre la logique d’autoévaluation en l’adaptant à notre objet. Tout d’abord, il s’agit d’amener l’entreprise à une réflexion sur ses pratiques concrètes en matière environnementale au vu de ce qu’elles devraient être. Cela implique d’identifier simultanément les enjeux environnementaux et les parties prenantes impactées. La consolidation permet de dégager les enjeux significatifs hiérarchisés. De là, s’élabore le plan d’action et de progrès qui correspond à notre stratégie environnementale.

Le processus d’identification des enjeux environnementaux s’inscrit dans une perspective d’amélioration continue (roue de Deming). Chacun des enjeux identifiés est évalué par l’équipe projet selon le niveau d’importance estimé pour l’entreprise (cotation de 1 à 5, de pas du tout important à fondamental) et le niveau de performance estimé atteint par l’entreprise (cotation de 1 à 5, d’inexistant à exemplaire). Il s’agit, ensuite, de croiser les cotations importance-performance pour obtenir une matrice qui permet de visualiser la criticité de chaque enjeu environnemental pour l’entreprise. Si elle est peu performante sur un enjeu majeur, elle devra agir, voire réagir, en planifiant des actions à très court terme. Si elle est performante sur un enjeu important, il lui faudra conforter sa gestion actuelle. A l’inverse, concernant les enjeux non prioritaires, une stratégie de veille sera suffisante. La firme peut ainsi hiérarchiser clairement ses priorités et élaborer une stratégie cohérente.

De manière symétrique, l’équipe projet détermine quelles sont les parties prenantes impactées par les différents problèmes environnementaux générés par l’entreprise. Ensuite, elles sont regroupées en catégories cohérentes. Enfin, elles sont aussi cotées en cinq niveaux selon l’importance des liens qu’elles ont avec l’entreprise. L’objectif est d’intégrer les attentes des parties prenantes dans la stratégie environnementale, donc, de réévaluer cette dernière. Ce bouclage permet de limiter la sous-estimation des problèmes ayant un impact à long terme au profit de ceux immédiatement perceptibles.
Cette méthodologie apparaît intéressante sur plusieurs points pour définir une stratégie environnementale cohérente sur le long terme :

  • elle prend en compte l’ensemble des parties prenantes, y compris celles trop faibles pour être représentées ;
  • le processus de hiérarchisation des attentes des parties prenantes permet d’intégrer et dépasser leur caractère contradictoire ;
  • en s’inscrivant dans une perspective d’amélioration continue, elle autorise une analyse dynamique et systémique des relations de l’entreprise avec ses parties prenantes, donc une certaine cohérence sur le long terme  ;
  • en recourant à différentes formes de rationalité et en induisant une mise en perspective des risques environnementaux par rapport aux enjeux du développement durable, elle évite de réduire la stratégie au seul service de la performance financière et donc à un paradigme utilitariste de court terme
  • son aspect participatif permet d’impliquer tous les responsables hiérarchiques, y compris ceux peu sensibles aux enjeux environnementaux et, en identifiant rapidement des axes d’amélioration concrets, parfois innovants, elle fait progresser la logique environnementale dans l’entreprise ;
  • le système de cotation de 1 à 5 est explicite pour tous, car il correspond au langage managérial classique.

2.2 – Préconisations et limites

Toutefois, la méthodologie ne s’avère réellement efficiente que si l’on est vigilant sur plusieurs aspects :

1°) Avoir une Direction Générale sensibilisée à l’intérêt d’une stratégie environnementale, qui en est commanditaire et soutien actif de son élaboration (d’où la nécessité de la 1ère partie).

2°) Respect de phases d’appropriation, par l’équipe projet, des enjeux environnementaux (réunions, voire séminaires ou formations au début) :

  1. découverte (mettre tout le monde à niveau sur les risques environnementaux et, par là, s’assurer d’un langage commun) ;
  2. initiation (à la méthodologie et à ce que devrait être une stratégie environnementale cohérente) ;
  3. ouverture (à travers le partage des cotations) ;
  4. questionnement profond (chacun réfléchit aux implications de cette démarche pour lui-même et son service) ;
  5. résultats (les participants voient se dessiner la stratégie environnementale).

3°) S’accorder sur les objectifs de la stratégie : excellence managériale, anticipation d’une conformité légale, préservation de l’image de marque…

4°) Pouvoir s’appuyer sur un chef de projet motivant l’équipe projet et maître d’œuvre de l’élaboration de la stratégie. Parallèlement, le recours au consultant/chercheur, maîtrisant la méthodologie, est indispensable, au moins sur les phases du début.

5°) Rester vigilant aux signaux faibles de « petits porteurs » et associations qui peuvent, dans le futur, correspondre à des enjeux importants.

6°) Rechercher des synergies entre stratégie environnementale et innovation, qui représentent des axes d’excellence pour l’entreprise (Cf. point 1.2.).

Les préconisations précédentes n’empêchent pas quelques limites à cette méthodologie. Il s’agit principalement d’une certaine subjectivité, résultant tant des limites cognitives des membres de l’équipe projet que de la procédure des ‘tables de correction’ ; d’une incapacité à proposer des plans d’actions correctifs, une fois les risques identifiés sur la grille ; d’une absence de formalisation quant à la manière dont les attentes des parties prenantes doivent être recueillies. Le rôle d’un accompagnant extérieur expérimenté est, ici, primordial car il permet de réduire ces limites, en offrant un recul face à la subjectivité de certaines appréciations, en permettant l’élaboration de plans d’action correctifs et en proposant des solutions de recueil des attentes des parties prenantes.


3 – Mettre en œuvre une stratégie environnementale

Impliquer la direction est un préalable indispensable. Définir, ensuite, une stratégie environnementale cohérente est une étape incontournable. Ces conditions sont nécessaires, mais non suffisantes pour, concrètement, mettre en œuvre cette stratégie sur sites. Cela implique qu’elle soit intégrée et appliquée par l’ensemble des personnels. Trop souvent, les acteurs en charge de la stratégie environnementale dénoncent une mobilisation ‘sinusoïdale’ des personnels : aux phases de mobilisation forte impulsées par la direction (généralement avant le passage d’un certificateur ou suite à une mobilisation de certaines catégories de parties prenantes : associations de consommateurs, groupes écologistes…), succèdent des périodes longues de relâchement, en attendant de nouvelles alertes…

3.1 – L’appropriation des enjeux environnementaux

Remédier à cela nécessite de comprendre comment impliquer et mobiliser durablement l’ensemble des acteurs. De multiples cadres théoriques permettent de repérer et analyser les processus favorisant l’appropriation des enjeux environnementaux par les personnels. Parmi eux, l’apprentissage organisationnel semble être l’un des plus adaptés.

Les principes et modalités du développement opérationnel d’une organisation apprenante nous oriente vers six dispositifs caractéristiques du processus d’appropriation d’une stratégie environnementale :

1°) le degré de formalisation de ladite stratégie ;

2°) les dispositifs de formation dédiés (sensibilisation, formations et séminaires) ;

3°) la politique de gestion des connaissances en la matière (acquisition, diffusion et capitalisation) 

4°) l’intégration dans le système RH (évaluation et rémunération) ;

 5°) dans la culture d’entreprise ;

6°) enfin, la valorisation des initiatives individuelles ou collectives via des récompenses significatives.

S’inscrire dans cette logique d’organisation apprenante pourrait permettre à une entreprise de mettre en œuvre efficacement sa stratégie environnementale.

Une série d’études empiriques, portant sur 18 entreprises analysées de manière longitudinale, montrent que les six dispositifs d’apprentissage organisationnel ne se déploient pas de manière aléatoire au sein des entreprises. Quel que soit le stade atteint en matière de stratégie environnementale, le niveau de déploiement des dispositifs se fait systématiquement selon un ordre récurrent. Les projections à deux ans confirment aussi clairement cela. Aucune des firmes rencontrées n’a eu, a priori, la volonté de déployer ces dispositifs dans un ordre précis. Mais avec le temps, il s’avère que ceux liés à la politique RH et à la culture d’entreprise ont systématiquement stagné tant que des avancées significatives n’ont pas eu lieu en matière de formalisation de la stratégie environnementale, d’action de formation et de gestion des connaissances. Ainsi se dessine un parcours structurant l’apprentissage de la stratégie environnementale à partir duquel il est envisageable de construire une méthodologie.

3.2 – Une méthodologie d’apprentissage de la stratégie environnementale en six étapes

Sur la base de ces travaux empiriques, nous proposons une méthodologie d’apprentissage permettant d’optimiser l’implémentation et l’efficience d’une stratégie environnementale au sein des firmes. Elle se décompose en six étapes :

1°) Identifier clairement les enjeux environnementaux encourus et formaliser une stratégie cohérente visant à les gérer. C’est le point de départ, qui donne le cap et conditionne la capacité des entreprises à enclencher le mécanisme d’apprentissage.

2°) Organiser des formations adaptées. Cela passe par des sensibilisations, des formations et des séminaires organisés en interne, mais aussi externalisés. Cette étape permet de diffuser un langage commun et de nouvelles perspectives au sein de l’entreprise, bases indispensables à l’émergence d’initiatives (étape 4).

3°) Gérer les connaissances (acquisition, diffusion et capitalisation). Là encore, l’équipe projet, de par sa composition transversale, est appelée à jouer un rôle central pour irriguer l’ensemble de l’entreprise, même si l’aspect acquisition et capitalisation des connaissances sera plus particulièrement l’apanage du chef de projet. Cette étape permet de conforter, dans le temps, la phase précédente de formation.

4°) Valoriser les initiatives, individuelles ou collectives, contribuant à la stratégie environnementale. A ce stade, il importe que le service RH prenne le relai de la dynamique insufflée par l’équipe projet, notamment en dégageant des moyens financiers pour récompenser les initiatives pertinentes. Cette étape, en consacrant l’émergence de nouvelles valeurs au sein de l’entreprise, rend possible l’évolution vers la 5ème phase.

5°) Intégrer la stratégie environnementale dans la culture d’entreprise. Il s’agit, là, d’un travail de longue haleine qui doit être réalisé conjointement par les membres de l’équipe projet, sensibilisés et mobilisés de longue date sur les enjeux environnementaux, et les services RH, théoriquement directement impliqués dans la communication interne. Dès lors, reste à ‘matérialiser’ cette évolution, c’est l’étape 6.

6°) Intégrer la stratégie environnementale à la politique RH, notamment en termes d’évaluation et de rémunération, mais aussi de gestion du temps. Concrètement beaucoup d’entreprises sont réticentes à indexer un système de prime sur les seuls enjeux environnementaux, préférant mettre l’accent sur la productivité. Mais allouer du temps semble une solution transitoire acceptable et assoit véritablement la contribution à la stratégie environnementale comme une mission des personnels.

Au déroulé de notre méthodologie, on comprend que les premières étapes sont relativement aisées à déployer, dans la mesure où, au préalable, une démarche structurée et accomapgnée aura scrupuleusement été respectée, selon nos préconisations. On comprend aussi que les phases 5 et 6 sont infiniment plus complexes à déployer. D’où la difficulté des entreprises à s’insérer dans une véritable logique d’organisation apprenante, garante de l’efficience et de la pérennité de la stratégie environnementale.

Nous avons observé que ces difficultés résultent de certains points d’achoppement à prévenir : prévalence de la performance financière de court terme sur les enjeux environnementaux ; insuffisance de moyens (manque de temps, de compétences…) ; communication interne défaillante ; implication sporadique du management (rythmé par les alertes) ; manque de responsabilisation des individus, de reconnaissance et de valorisation des initiatives.
Symétriquement, quelques ressorts, mis en évidence semblent particulièrement efficaces :

  • la direction est de plus en plus sensibilisée aux risques environnementaux, l’informer sur l’intérêt économique de prévenir plutôt que réparer suffit à enclencher le processus ;
  • le chef de projet de la stratégie environnementale doit être systématiquement légitimé par la direction pour impacter la totalité des personnels ;
  • l’apprentissage par projets et en équipe est le plus pertinent pour évoluer vers une appropriation profonde ;
  • pour qu’elle ne soit pas assimilée à un simple surcoût, évaluer les gains d’une stratégie environnementale efficace (Cf. première partie) ;
  • veiller constamment à ce que la politique environnementale ne soit pas vécue comme une contrainte technobureaucratique.

4 – Evaluer et piloter la stratégie environnementale.

La direction impliquée, la stratégie définie, les acteurs mobilisés, reste à évaluer et piloter cette stratégie environnementale. Cela implique d’examiner tant les gains et coûts privés, perçus et supportés par l’entreprise, que les gains et coûts sociaux dont bénéficie ou pâtit la société (i.e. les externalités). Si, a priori, ce sont les sciences de gestion qui offrent les outils nécessaires à l’évaluation des coûts privés et au pilotage de la firme, le recours à la science économique s’avère indispensable pour mesurer les gains ou coûts sociaux que sont les externalités générées par l’entreprise. Proposer une méthode d’évaluation et de pilotage d’une stratégie intégrant l’environnement implique donc d’emprunter à ces deux champs scientifiques.

4.1 – Des solutions ‘comptables’ enrichies par des méthodes économiques

Schématiquement, la comptabilité environnementale relève de trois logiques :

1°) Adapter la comptabilité générale, en intégrant la consommation du patrimoine naturel dans le calcul du résultat comptable de l’entreprise via le mécanisme des provisions pour risque et charge. Cela peut impliquer de développer de nouveaux outils comme la valeur ajoutée négative, voire une normalisation comptable spécifique à l’environnement.

2°) Permettre une comptabilité analytique, en créant des cadres comptables pour isoler l’information concernant les dépenses environnementales, via des ‘comptes verts’, des numéros de compte spéciaux, une identification des impôts et taxes imputables à l’environnement, voire un Système de Comptabilité Economique et Environnementale Intégré.

3°) Obtenir un coût complet environnemental, via l’étude des coûts du cycle de vie d’un produit : on intègre l’ensemble des dépenses environnementales associé à chacune des phases du cycle de vie -extraction des matières premières, fabrication, distribution, utilisation, fin de vie- afin d’en améliorer la performance écologique.

Ces logiques se heurtent à une série de difficultés (subjectivité de la solution analytique, mobilisation de compétences transversales pour l’ACV, etc.). Mais la principale : piloter la stratégie environnementale implique d’évaluer monétairement les dommages causés par l’entreprise à l’environnement, ce que ne permettent pas les techniques comptables. Dès lors, l’entreprise ne peut connaître l’intérêt pour la société (i.e. l’ensemble de ses parties prenantes) d’un effort de réduction, de sa part, des dommages environnementaux qu’elle génère. Difficile, dans ces conditions, d’élaborer une véritable stratégie… Pour autant, ce problème peut être, dans une certaine mesure, levé. En effet, certaines méthodes économiques ont été élaborées pour approximer le coût des externalités négatives.

En termes économiques, un dommage environnemental est assimilable à un effet externe négatif. Ce dernier se définit comme un impact négatif généré par l’activité d’une organisation, qui affecte tout ou partie de ses parties prenantes, sans être intégré par le marché : aucun mécanisme de marché ne vient spontanément attribuer un prix (un coût) à la nuisance qui engendre une perte de ‘bien être’ pour les parties prenantes affectées.

Si aucun mécanisme comptable ne le permet, ou légal ne l’oblige, l’entreprise ne supporte pas le coût des pollutions qu’elle génère. Elle peut ‘consommer’ quasi gratuitement du patrimoine naturel, au détriment de la société qui va en supporter le coût. Dans notre perspective, mettre en œuvre une politique socialement responsable (en l’occurrence, ici, implémenter une stratégie environnementale) implique que l’entreprise se considère ‘responsable’ des externalités négatives qu’elle émet. Concrètement, il s’agira de mettre en perspective le coût privé de la prévention, de la réparation ou de l’indemnisation au regard du coût social généré. Par là, elle pourra légitimer ses investissements dans le cadre d’une politique sociétalement responsable. Les économistes ont développé quatre grandes catégories de méthodes permettant d’approximer le montant des externalités générées par les firmes :

1°) Les méthodes de préférences révélées. Elles consistent à utiliser les données monétaires fournies par l’observation de marchés de substitution. On distingue notamment :

  • la méthode des dépenses de protection qui examine les dépenses engagées par les parties prenantes pour se prémunir d’un dommage environnemental ;
  • la méthode des prix hédonistes qui consiste en la comparaison de la valeur de biens immobiliers identiques, l’un étant soumis au dommage, l’autre non ;
  • la méthode des coûts de déplacement qui mesure combien un usager d’une ressource naturelle dégradée est prêt à investir en temps de déplacement et en argent pour accéder à une ressource naturelle identique, mais non dégradée .

2°) Les méthodes de préférences exprimées (ou directes). Elles sont fondées sur l’existence de marchés hypothétiques, ce qui permet d’estimer la variation de bien-être sans passer par l’observation de marchés existants. La principale est la Méthode d’Evaluation Contingente (MEC). Elle s’appuie sur les déclarations d’intention des parties prenantes, placées dans des situations hypothétiques, pour déterminer leur consentement maximal à payer pour que l’entreprise réponde à leurs attentes

3°) Les méthodes indirectes (ou dose-effet). Elles établissent un lien quantitatif de causalité entre l’évolution des pratiques de l’entreprise et son incidence sur ses différentes parties prenantes, puis associent une valeur monétaire à ce lien ; Les principales sont les fonctions de dommage, les coûts de remplacement et le capital humain.

4°) Les méthodes tutélaires. Elles renvoient aux montants fixés par la justice et plus largement la puissance publique (indemnités compensatrices dédommageant les victimes d’externalités, taxes environnementales, coûts implicites liés au respect des normes…).

4.2 – Implications sur le pilotage de la stratégie environnementale

Nous venons de voir qu’il est possible de se doter d’outils comptables de mesure des coûts privés induits par une stratégie environnementale et, symétriquement, de méthodes économiques d’évaluation des gains sociaux qui en résultent. Suite à différentes études empiriques, il nous apparaît que les investissements environnementaux peuvent prendre trois formes différentes :

1°) Coût de prévention : Si l’entreprise est confrontée à un risque de dommage potentiel, mais qui n’est pas encore avéré, elle engagera des dépenses afin d’éviter totalement le dommage ou, pour le moins, réduire considérablement son impact. Ces coûts de prévention sont ici envisagés comme les coûts induits par l’évitement, total ou partiel, d’une dégradation du patrimoine naturel (bâtiments HQE, murs antibruit…).

2°) Coût de réparation : Si l’entreprise a déjà généré un dommage, mais qu’il est possible de le réparer en totalité ou de manière significative, elle pourra engager des dépenses pour ce faire. Ces coûts de réparation sont définis comme les coûts induits par la réhabilitation, totale ou partielle, du patrimoine naturel dégradé par l’activité de l’organisation (dépollutions de terrains, traitement des eaux usées…).

3°) Cout d’indemnisation : Si l’organisation a généré un dommage irréversible, elle peut, indépendamment de toute contrainte légale, engager des dépenses pour indemniser les parties prenantes victimes de la dégradation. Les coûts d’indemnisation, ou de compensation, apparaissent lorsque l’entreprise continue à générer le dommage mais qu’elle le rend acceptable aux yeux des parties prenantes.

Il semble que la mise en balance des coûts sociaux et privés amène à développer une stratégie environnementale plus pertinente. L’organisation responsable va rechercher une forme d’optimum. Elle va investir dans la prévention, la réparation ou la compensation tant que ses coûts ‘privés’ sont ‘acceptables’, c’est-à-dire qu’ils ne remettent pas en cause sa pérennité économique. Elle est d’autant plus responsable que les efforts engagés sont significatifs au regard des dommages générés. L’entreprise sera environnementalement responsable si elle concentre son action sur la prévention ou la réparation des dommages, la compensation revêtant uniquement un aspect social. Mais dans le cadre de la mise en œuvre de stratégies environnementales, ce sont principalement les coûts de prévention qui retiennent notre attention.

Pour implémenter concrètement une stratégie environnementale, le problème du manager se pose donc rapidement en termes d’évaluation monétaire des coûts environnementaux. Envisagée comme une preuve de l’implication environnementale des organisations, cette évaluation chiffrée devient une condition de la mise en œuvre de la stratégie responsable.

La complémentarité des approches économiques et gestionnaires semble donc évidente. Toutefois, elle peut laisser perplexe au regard du caractère approximatif des résultats engendrés par la mise en œuvre de ces méthodes : suivant les méthodes de calcul, les écarts peuvent être très importants. Ce constat ne doit pas pour autant paralyser l’action. Il semble que ce soit dans la comparaison des coûts privés (méthodes gestionnaires) et des coûts sociaux (méthodes économiques) que la plus-value d’information apparaisse pour le dirigeant. La mise en œuvre de ces différentes méthodes ne peut avoir comme objectif de déterminer avec précision coûts et avantages de la stratégie environnementale. Quelque soit la méthode employée, les normes comptables utilisées, le coût juste n’existe pas. L’intérêt pour ceux qui décident de la stratégie environnementale réside, donc, davantage dans la plus-value d’information et l’aide que celle-ci peut procurer au cours des processus de décision.
L’évaluation des coûts environnementaux peut donc trouver un écho favorable dans la mise en place d’une stratégie environnementalement responsable. Elle peut même devenir un pilier de cette stratégie en proposant une valorisation financière des efforts réalisés par une organisation mais aussi en participant directement à l’amélioration du processus de décision.


Conclusion

Au travers de cette recherche, nous avons proposé une méthodologie en quatre temps pour implémenter concrètement et durablement une stratégie environnementale :

1°) Impliquer la direction en mettant en évidence que si une telle stratégie est synonyme de gains pour les parties prenantes, elle n’est pas uniquement synonyme de dépenses pour l’entreprise : elle permet de réduire certains coûts et de générer des revenus.

2°) Définir une stratégie environnementale pérenne, dépassant les attentes contradictoires des parties prenantes et cohérente avec les objectifs de l’entreprise.

3°) Mobiliser durablement les personnels en leur permettant de s’approprier réellement les enjeux d’une telle stratégie environnementale via le déploiement successif de 6 dispositifs qui optimisent l’apprentissage.

4°) Evaluer et piloter cette stratégie environnementale en couplant des solutions comptables et économiques. Cela apporte une précieuse plus-value d’informations dans le processus de décision et le suivi de la stratégie.

Certes, cette méthodologie, surtout dans son quatrième temps, demeure complexe. Sur le terrain elle implique un long travail d’appropriation et de maturation, à tous les niveaux de la chaîne hiérarchique et dans les différents services. Néanmoins, les études de terrain nous montrent que, si l’on veut aller au-delà de simples mesures cosmétiques, il faut se laisser un délai d’au moins 18 mois (mais plus souvent 24) et faire un effort conséquent de formation. Nous considérons que les quatre temps identifiés présentent l’intérêt d’inscrire la stratégie environnementale dans une logique d’amélioration continue, selon le cycle plan-do-check-act de la roue de Deming.
De nouvelles recherches empiriques sur chacune des étapes et leur enchaînement devraient permettre d’affiner la méthodologie. Il serait notamment intéressant de faire émerger un système d’évaluation et de pilotage simplifié de la stratégie environnementale.